
Cela fait des années maintenant que je pensais connaitre MC Solaar. Aujourd'hui, je viens de prendre une claque monumentale en lisant les extraits de l'émission spéciale MC Solaar diffusée prochainement (dimanche 9 février à 10h) sur Le Mouv. Reportage éalisé par le magazine Abcdrduson.com, en partenariat avec Le Mouv'.

Près d'une trentaine de pages sur l'histoire, la saga devrait-on dire de l'album Prose Combat. Des dizaines d'anecdotes agrémentent les commentaires d'ARMAND THOMASSIAN - Chef de projet (label Polydor), BAMBI CRUZ, JIMMY JAY, PHILIPPE ASCOLI - Directeur artistique (label Polydor), ZOXEA ET MELOPHEELO, DANIEL MARGULES (Conseiller de MC Solaar), PHILIPPE ZDAR - Producteur, ingénieur du son, RÉGIS DOUVRY - Premier manager de MC Solaar et PHILIPPE BORDAS - Son photographe.
C'est vraiment un document plus qu'exceptionnel.
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Voici des extraits que j'ai sélectionné pour vous :
Philippe Ascoli : C'était dur de parler avec Claude. Il est toujours un peu... C'est un personnage. Il sort toujours des citations, il aime bien parler comme un dictionnaire. J'ai su ce que c'était un artiste en travaillant avec lui. Il était un peu flaky, comme on dit en anglais. Le genre de mec, tu lui donnes rendez-vous le jour J à midi, il vient le lendemain à midi. Mais quel plaisir ! On est marqué à vie quand on a fait partie d'un projet comme ça.
Philippe Bordas : C'était quasiment le meilleur footballeur de sa génération en Île-de-France. Un génie gestuel. J'ai fait des matchs avec lui, je voyais même pas la balle. Il a participé au match des vedettes avec Milla, Wiltord... Les mecs, il les contrôlait. Avec Solaar, on est tout le temps dans le testingdrôle. Un exemple : on va faire une séance à Los Angeles. Le premier truc qu'il fait en sortant de la douane, pour montrer qu'il en a rien à foutre, c'est sortir des couteaux papillon cachés dans ses poches, pour montrer qu'il a grugé les américains. Fallait oser ! Et ensuite il fait des flips, des sauts périlleux avant, arrière, alors qu'on vient de faire douze heures d'avion ! Il a une belle gueule, il est rapide, il bouge bien. Photographiquement, c'était du plaisir.

Bambi Cruz : Je me rappelle, il a été invité à participer à un match de gala pour M6. Il rentre sur le terrain, et direct, il fait un petit pont à Jean-Pierre Papin. Tout le monde fait « Whooooooah ! » Par contre, ce n'est pas un grand buteur. Il peut partir du fond du terrain, remonter tous les défenseurs, mais le dernier acte, la mise à mort, c'est pas son truc. Si on lui fait tirer un penalty, il ne va pas être bon. Mais pour passer toute une équipe, il est trop fort ! C'est assez bizarre.
Armand Thomassian : On sort d'un premier album qui est un gros succès.Qui sème le vent... a fait 50 000 ventes en Allemagne, 30 ou 40 000 en Angleterre, ce qui est beaucoup pour un artiste en langue française. On est présents sur tous les marchés. Je me souviens m'être promené à New York avec un t-shirt MC Solaar. Dans la journée, il y a au moins cinq mecs qui m'ont arrêté pour l'acheter. Toute proportion gardée, Claude était l'équivalent potentiel de ce que les Daft Punk sont devenus. C'était le truc frenchy le plus sexy qu'ont envoyait à l'étranger.
Philippe Ascoli : Solaar et Daft Punk, ça a la même classe, avec ce côté un peu caché. D'ailleurs, toute la scène dite de Versailles aurait voulu faire du rap, mais on dit qu'ils n'étaient pas de la bonne banlieue, alors ils ont fait de l'électro. Mais tous ces gens sont très proches. Solaar a ouvert la voie aux Air, Phoenix, Daft Punk... . Nicolas de Air était fan de Solaar. Hubert Blanc-Francard et Philippe Zdar ont ensuite crée Cassius, proche de Daft Punk. Cette équipe, c'est la proto french touch, plus que le proto hip-hop.
Armand Thomassian : Avant la sortie de Prose Combat, Chris Blackwell, le boss d'Island, le mec qui a quand même révélé Bob Marley et U2, réclamait à cor et à cri l'opportunité de récupérer Solaar sur un label qu'il avait monté pour des artistes non-américains. Je crois qu'il y avait aussi Vanessa Paradis. Il nous avait dit « Filez-moi Solaar, et j'en ferai une star aux États-Unis. »
Philippe Bordas : Claude, à ce moment-là, il était implanté dans le milieu londonien, il était déjà énorme. Il apportait une mélodie française, presque « onomatopique », qui passait dans toutes les langues. Il manquait le truc américain et boum! ça décollait.
Bambi Cruz : Après Prose Combat, on a eu des propositions qui n'arrivaient pas habituellement en France. Mais j'ai l'impression que même les États-Unis, Claude les a « restreints ». Un exemple : Puff Daddy. Il était passé dans l'émission Fan De. Il est filmé chez lui et là, le mec sort un disque de Claude, et dit : « Moi j'adore MC Solaar, j'aimerais travailler avec lui. » Il tend une grosse perche ! Là-dessus, Claude nous dit qu'il va peut-être faire un titre ou deux avec lui. Puff Daddy annonce « Moi, je fais tout l'album ou rien du tout. » Et là, Claude dit « Oui mais on est quand même la France, il faut faire un album français. » Il ne dit pas ça méchamment, mais il ne veut pas d'un album à l'américaine. Tout le monde aurait sauté sur l'occasion, mais pas lui.
MC Solaar : À l'époque de Prose Combat, j'avais un souci : tous les gens que je connaissais critiquaient mon travail. Je connaissais ces mecs, je savais où ils habitaient, ils étaient déjà venus au studio. Ils étaient obligés de me critiquer pour se singulariser. Je ne disais rien, mais cette critique me touchait vraiment, alors j'ai voulu prouver qu'il y avait un supplément d'âme et de la lutte dans ma musique. L'effet a été bénéfique, et Prose Combat paraît plus costaud. Devoir viser des gens, ça m'a remis dans le hip-hop.
Bambi Cruz : Tout le monde lui en voulait car il était à la pointe. Il fallait se trouver un ennemi. Si tu veux être champion du monde, il faut boxer avec Mike Tyson. Les rappeurs lui envoyaient des pêches, mais il n'a jamais répondu. Sauf à NTM, une fois. Il a juste dit quelque chose comme « Aime tes haines si t'aimes le superflu... » Il n'a même pas cité leur nom. Il l'a retourné !
Armand Thomassian : Claude était amené à devenir un artiste populaire. C'est peut-être ce qui a crée de l'agressivité chez les puristes. Je me rappelle, début 92, on commençait à recevoir des grosses propositions d'émission. Foucault, Drucker... Solaar me disait « Moi, je ne veux pas les faire, ils ne jouent que de la merde. » Je lui ai dit « Claude, on ne te demande pas d'aller te déguiser, tu as la possibilité de toucher un public plus large en faisant uniquement ce que tu fais. » Je ne regrette pas de lui avoir pris la tête à l'époque. Je lui disais « Regarde Gainsbourg et les Rita Mitsouko, ils les ont faites, ces émissions. Est-ce que tu trouves qu'ils sont moins bons ? Ces émissions, c'est une tribune pour te permettre de franchir un palier. Utilise-les comme un cheval de Troie : entre et fais tout péter. »
Bambi Cruz : Quand j'ai rencontré Jimmy Jay, il m'a dit : « Moi, je veux monter mon label, je veux une console de mixage SSL et je veux une Ferrari.» Trois ans après, tout ce qu'il avait voulu, il l'avait. À 21 ans. C'est quelque chose qui m'a impressionné. Il avait cette motivation, cette envie d'être son propre patron.
Jimmy Jay : Je me suis retrouvé seul à payer les productions des autres artistes, parce que personne d'autre ne voulait me suivre. Personne ne croyait en ces gens-là : les Ménélik, Sages Po... Si je n'avais pas pris ces risques, tous ces albums, qui ont permis de lancer ensuite les Kery James, les Booba, les Raggasonic, ils n'auraient pas existé. Moi, je voulais juste que ça marche, au maximum, et pour tout le monde.
Bambi Cruz : C'était une époque pas terrible pour Claude. Si tu réécoutesLes Cool Sessions, le message c'est : voici les artistes présentés par MC Solaar. Il avait fait ça par amitié pour Jimmy Jay, pas pour l'argent. Tous ces gens qui lui en voulaient, c'est quelque chose qui l'a marqué. Après ça, il a pris du recul avec tous les rappeurs. Je me rappelle qu'il avait utilisé une image qui résume tout, il m'avait dit : « J'ai l'impression d'avoir porté du bois pour les aider à construire un bateau, mais le bateau est parti sans moi, ils m'ont laissé sur la rive. ».
Armand Thomassian : Un jour, Claude s'est retrouvé dans un supermarché à Villeneuve-Saint-Georges. Sur une boîte de céréales, il a vu écrit « Toi aussi, reçois ton 45 tours de MC Solaar. » Il a appelé Boom Bass et lui a demandé : « Est-ce qu'ils ont le droit de faire ça ? » Je pense que c'est à partir de là qu'il a perdu sa candeur. Il a pris conscience qu'il était un produit, il a pris conscience de sa notoriété, de l'importance de son image. Et il a basculé dans une autre forme de carrière.
MC Solaar : Moi, à cette époque là, j'imaginais encore peut-être retourner à la fac. Chez Polydor, deux personnes m'ont recommandé un intermédiaire pour parler avec la maison de disques. Je suis donc allé voir plusieurs conseils, et je me suis arrêté sur celui qui m'a écouté.
Daniel Margules : Fin 1996, Claude et ses réalisateurs rentrent en studio pour le troisième album. Claude sent qu'il a une énorme créativité. On a donc l'idée de faire une chose assez rare : un double album à la place d'un album simple. Après un succès comme Prose Combat, c'est une idée originale qui fera progresser sa carrière. Nous demandons l'autorisation à Polydor de continuer l'enregistrement. Le contrat nous y autorise à 100%, mais Polydor refuse. Je fais intervenir l'avocat de Claude. Pascal Nègre [président de PolyGram Disc, maison-mère du label Polydor] ira chez l'avocat, le 23 décembre 1996, pour nous donner enfin l'autorisation d'entrer en studio pour terminer ce double album. Je m'en rappelle, c'était la veille de Noël.
Régis Douvry : Je peux comprendre qu'un artiste veuille avoir le meilleur deal possible, mais quand tu vois ce que ça a donné... Aujourd'hui, il n'y a pas de best-of de MC Solaar. Si t'achètes la BO de La Haine, il n'y a plus le morceau de MC Solaar dedans.
Philippe Zdar : Cette histoire, c'est un truc qui me déprime. Je trouve aberrant qu'en 2014, un kid de 16 ans à Montfermeil, Villeneuve-Saint-Georges ou Chambéry ne puisse pas acheter Prose Combat. C'est d'une tristesse abyssale. Les protagonistes de cette affaire devraient se mettre autour d'une table, et trouver une solution pour que les gens – les vrais gens –puissent à nouveau écouter ces disques.

Philippe Bordas : Comme les droits sur ses albums sont bloqués, l'œuvre de Claude va disparaître tout doucement. Même lui, il n'a rien. Il ne possède même pas son œuvre. Un jour, je suis arrivé chez lui avec un carton de quarante kilos. À l'intérieur, il y avait son œuvre complète, de A à Z : 33 tours, 45 tours, cassettes, CD, éditions japonaises, t-shirts, absolument tout. Je lui ai filé, mais je ne sais pas s'il l'a gardé.
Philippe Bordas : Solaar, c'est un dilettante. Il n'est pas avide, il n'est pas ambitieux. Son père est parti jeune, et sa mère – qui est extraordinaire – s'est sacrifiée pour les enfants. Dès que Claude a gagné de l'argent, il lui a acheté une maison. Il avait cette ambition là, mais il n'a pas voulu prendre trop de risques. En fait, il a un don, mais il n'est pas habité par une obsession. Un mec comme Bashung, il était obsédé tout le temps. Claude, non. Aujourd'hui, je rêve qu'on se remette à bosser ensemble. Définir une direction artistique à deux pour qu'il fasse un come back. Il pourrait faire un raz-de-marée total. Il faudrait qu'il soit moins variété et reprenne du son à la fois funk, reggae et rap. En flow reggae, il détruit tout !
Philippe Bordas : C'est une sorte de poète anarchiste, Claude. Il est dans la rue, il s'enchante des mots des autres, il prend des notes. Le problème, c'est qu'il est assez flottant. Il dit « On va s'y mettre », mais on ne le fait jamais. Pourtant j'adorerais. Lui il écrirait, et moi derrière je ferais la structure. Là, le rap français, c'est devenu une forme autistique de langage. Ils sont dans un truc où ils ne diffusent plus rien. Le génie de Solaar, comme d'autres argotiers populaires avant lui, c'était d'inventer une langue globale qui touche le peuple. Les rappeurs, ils ne s'adressent plus au peuple. L'esthétique racaille à deux balles, tout le monde peut la faire. Dans Prose Combat, la révolte était un truc presque mélancolique. Rien que le titre : Prose Combat. Les mecs peuvent aller dormir ! Close Combat, Prose Combat, putain...
Boris
Blogmcsolaar.skyrock.com
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